52 Portraits
« Chacun porte en lui une histoire. Une raison simple de faire des rencontres. »
Batteur, prof de batterie, musicien déjanté. Ces mots s’échangent sur une terrasse, le soir.
À cinq ans, quand son grand-père lui demandait ce qu’il voudrait faire plus tard, il répondait : « Clown-musicien ». Maintenant, il joue dans KermesZ à l’Est. Autant dire que, de ce point de vue, c’est clairement réussi ! Thibaut me raconte que musicien, c’est plus qu’un métier, c’est toute une vie. Avec une touche d’humour, il se demande si un employé quelconque s’est vraiment dit un jour : « Je veux travailler dans l’administration ». Alors qu’avant même de se souvenir de ce qu’il disait, il voulait déjà être ce musicien. Et s’il ne l’était pas, il serait perdu. Il a au plus profond de lui cette impression qu’il n’a pas eu à choisir de faire de la musique. Ça s’est imposé à lui. D’ailleurs, il éprouve énormément de sympathie pour les jeunes paumés, parce qu’ils n’ont pas eu la chance de se trouver, d’avoir cette accroche qu’il a eue quand il était gamin. Mais pour les rassurer : « Il n’est jamais trop tard pour trouver sa voie. On en a tous une. Maintenant, il y a aussi les parents qui jouent un rôle. Moi, je remercie ma mère de m’avoir permis de faire ça. »
Le rôle des parents. Ces gens qui nous font grandir. Et qui pourtant peuvent être une épreuve de vie : « Mon père s’est suicidé quand j’avais quatre ans. C’est un truc que les gens qui me connaissent savent. Ça m’a carrément modifié et construit. Imagine n’avoir jamais connu ton père. Non, en fait c’est inimaginable. C’est une forme particulière de départ, parce qu’il a choisi de partir. Ça a changé ma vie. Et peut-être que ça l’a changée en bien, car c’était un gros poivrot. Et je me dis que si j’avais eu un père poivrot dont j’aurais du m’occuper maintenant, ma vie n’aurait pas été pareille. C’était quelqu’un de très intelligent pourtant, mais voilà, il buvait. »
Je lui demande alors comment il envisage la vie, les choix qui nous déterminent, comme tracer sa route. Directement, il me répond : « Il y a des gens qui n’ont que les mots « travailler, rentabiliser, acheter des trucs » à la bouche. Ça, pour moi, c’est pas la clé du bonheur. Ma vision, c’est faire ce qu’on aime, voir ceux qu’on aime, essayer de faire sourire les gens. C’est simple et à la portée de tout le monde. »
Sa plus belle expérience, en tant que musicien, fut de jouer à Esperanzah il y a trois ans en ouverture du festival avec Peas Project. Et de se souvenir : « Le bonheur, quand on joue, c’est de le faire devant une foule hystérique. Le moment le plus fort, c’est quand des musiciens qu’on admire depuis qu’on est gosse viennent te dire que tu joues bien. Ça n’a pas de prix. Quand il me dise « ça groove », juste ça. Quand ils me disent que ce que je fais est bien et que ça les touche. » Il me parle du rapport particulier du musicien à l’égo, puisque l’idée derrière le fait de partager sa musique est de rencontrer un public à qui ça plaise. D’ailleurs, il précise que c’est une condition sine qua non pour en vivre. Comme la musique émane de quelqu’un, ce quelqu’un aussi doit plaire. Une course au succès ? Il temporise et m’explique le vécu d’un de ses professeurs, Xavier Rogé. Ce dernier lui expliquait qu’une carrière sur la scène internationale était franchement l’enfer. Loger dans des hôtels dans toutes les capitales du monde, n’avoir le temps de rien. Peut-être être là le chemin le plus sûr pour se perdre soi et ne plus voir l’essentiel.
Je demande alors à Thibaut de faire partager un « quelque chose » qui lui est personnel et qui pourrait, je l’espère, faire rêver quelques uns d’entre nous. Absorbé, il me donne une clé à cette évasion : « Il faut écouter un chanson de JJ Cale, chanteur américain, appelée « Call the doctor ». Il faut l’écouter un jour de temps gris, en automne, en buvant un chocolat chaud. Tu l’écoutes et tu fermes les yeux. Ça fait partie de mes plaisirs simples mais tellement efficaces. Il y a un solo de guitare à pleurer dedans. Si quelqu’un peut avoir ce plaisir là… »
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